Vers le contenu

Le nombre de frontaliers s’accroît fortement à Genève

04 juin 2024

La région lémanique se distingue par son marché de l’emploi particulièrement dynamique. Alors que le nombre de personnes actives ne cesse de croître, le secteur du logement fait face à une pénurie persistante depuis de nombreuses années. Face à cette situation, l’agglomération genevoise s’étend progressivement sur le territoire français. Le flux des travailleurs frontaliers résidant en France et se rendant quotidiennement à Genève pour leur emploi a connu une hausse significative, de 33’000 individus supplémentaires depuis 2021. Cette croissance a été facilitée par l’inauguration du réseau ferroviaire transfrontalier Léman Express en 2020, et par l’assouplissement des réglementations sur le télétravail en 2023. À l’avenir, il est prévu que l’expansion démographique de Genève continue principalement du côté français de la frontière.

Forte augmentation du nombre de frontaliers français dans la région lémanique

Entre le 1er trimestre 2021 et le 1er trimestre 2024, le nombre de travailleurs frontaliers résidant à l'étranger et se rendant en Suisse pour leur emploi s'est accru de 58 000 personnes, soit une progression de 17%, portant leur nombre total à 399 000. Cette période a vu une croissance particulièrement marquée du nombre de frontaliers résidant en France et travaillant dans la région lémanique, qui englobe les cantons de Genève, Vaud et Valais. Leur nombre a en effet augmenté de 33 000 individus, ce qui représente une hausse de 26%. Ainsi, parmi tous les nouveaux frontaliers, 57% travaillent dans la région lémanique, et ce pourcentage monte à 77% pour ceux résidant en France. Une part significative de cet accroissement s'est manifestée dans le canton de Genève, où le nombre de frontaliers a progressé de 22 000, soit une augmentation de 24% depuis le début de 2021. Plusieurs facteurs contribuent à cette évolution notable :

  • Un marché du travail en plein essor: le boom post-Covid sur le marché du travail genevois.
  • Pénurie de logements: La pénurie de logements de plus en plus marquée à Genève
  • Léman Express: Depuis son inauguration en 2020, le Léman Express a considérablement amélioré les déplacements transfrontaliers. Ce réseau ferroviaire a réduit le temps de trajet entre Annemasse et la gare de Genève Cornavin d'environ 40%, devenant un choix privilégié pour 70 000 pendulaires chaque jour et capturant ainsi 43% de la part de marché des transports dans cette zone. Schmid (2023) explore les répercussions de cette expansion des transports publics sur l'activité de construction, les prix de l'immobilier et la composition de la population. Les résultats montrent que le Léman Express a stimulé un essor de la construction à proximité des arrêts, accentuant d'autant plus le phénomène de travail frontalier dans la région.
  • Activité de construction: En France voisine, une multitude de nouveaux logements ont émergé autour des gares récemment mieux desservies.
  • Coût du logement: le coût médian du logement en France, dans la zone frontalière, reste environ deux fois moins élevé qu'à Genève (190 CHF/m2 par an contre 384 CHF/m2 par an).
  • Différences de prix générales: Les biens de consommation sont généralement plus abordables en France qu'en Suisse. Par ailleurs, le franc suisse s'est renforcé d'environ 10% face à l'euro ces trois dernières années. Ces deux éléments contribuent positivement au pouvoir d'achat des travailleurs frontaliers.
  • Les primes d'assurance maladie: Jusqu'en 2023, les frontaliers bénéficiaient de primes d'assurance maladie nettement plus avantageuses que les personnes résidant en Suisse (mais depuis 2024, cet avantage a été considérablement réduit).
  • Salaires: Dans le canton de Genève, les salaires bruts médians locaux sont plus que doubles par rapport à ceux de la France voisine, atteignant 80'000 CHF par an contre 30'000 CHF en France.
  • Nouvelle convention fiscale: Depuis janvier 2023, les travailleurs frontaliers français ont la possibilité de réaliser jusqu'à 40 % de leur activité professionnelle en télétravail, sans que cela n'affecte leur statut de frontalier ni les règles d'imposition associées à leurs revenus. Cette mesure contribue à diminuer significativement les coûts liés aux trajets domicile-travail.
Réduction du temps de trajet en transports publics vers Genève Cornavin avec la mise en service du Léman Express par rapport à la situation antérieure (illustration tirée de Schmid (2023))

La part des frontaliers sur le marché du travail genevois augmente

Entre le 1er trimestre 2021 et le 4e trimestre 2023, l'emploi dans la région lémanique a connu une hausse significative de 79'000 postes, soit une croissance de 8,1% (contre 7,1% pour l'ensemble de la Suisse). De cette augmentation, 36% est attribuable aux travailleurs frontaliers. La présence des frontaliers dans le marché de l'emploi de cette région est traditionnellement élevée et a encore connu une augmentation notable récemment. Entre le 1er trimestre 2021 et le 1er trimestre 2024, leur part dans l'emploi total de la région lémanique a grimpé de 1,7 point de pourcentage pour atteindre 14,9%.

Pénurie aiguë de logements et coût élevé du logement à Genève

Depuis le début du siècle, le taux de logements vacants dans le canton de Genève reste continuellement bien en deçà du seuil optimal de 0,7%. Au cours des deux dernières années, cette pénurie s'est intensifiée, le taux tombant à un plancher de 0,4% en 2023. L'intensification de la pénurie se reflète aussi dans le taux de l'offre, qui a diminué de 5,3% en 2021 à 4,2% en 2023. Genève souffre donc d'une pénurie chronique de logements, ce qui a pour conséquence que les coûts du logement demeurent extrêmement élevés. Les loyers médians dans le canton de Genève sont de 384 CHF/m2 par an au 1er trimestre 2024, tandis qu'en France voisine, les loyers varient entre 190 et 260 CHF/m2 selon la localité, d'après Seloger.com. La différence est encore plus marquée pour les prix d'achat des logements : environ 13 500 CHF/m2 dans le canton de Genève contre seulement 3500 à 6000 CHF/m2 en France selon la localité, comme le rapportent Schmid (2023) et Seloger.com. Cette disparité rend la résidence en France, près de la frontière, particulièrement attrayante pour ceux qui travaillent à Genève. Fin 2021, 26% des personnes employées dans le canton étaient des frontaliers, un chiffre qui dépasse même les 40% dans certaines communes.

Prix médians des logements en propriété 2010-2018, en CHF/m2 (illustration tirée de Schmid (2023))
Part des frontaliers étrangers parmi les personnes actives dans la région lémanique, 4e trimestre 2021

La France frontalière, une soupape pour la croissance genevoise

Entre 2015 et 2020, les arrondissements français de Saint-Julien-en-Genevois et de Gex, adjacents au canton de Genève, ont vu leur population croître annuellement de 1,2% et de 1,9% respectivement, tandis que le canton de Genève enregistrait une augmentation plus modeste de 0,9% par an durant la même période. Ces trois entités (Saint-Julien-en-Genevois, Gex, canton de Genève) forment ensemble la région transfrontalière du « Grand Genève ». Sur les 42 000 nouveaux résidents que compte le « Grand Genève » durant cette période, 49% se sont installés du côté français, bien que les arrondissements français n'aient accueilli que 37% des habitants en 2015. La zone frontalière française sert donc de soupape à la croissance du canton de Genève. Selon Schmid (2023), cette croissance est principalement attribuable à des arrivées depuis d'autres régions françaises, avec très peu de départs du côté suisse.

L'accessibilité financière diminue en France voisine

L'afflux de travailleurs frontaliers aisés a entraîné une hausse des prix de l'immobilier dans les régions françaises proches de la frontière, notamment en Haute-Savoie, où les prix sont nettement supérieurs à la moyenne nationale. Cette tendance s'est même accélérée ces dernières années. En conséquence, il devient plus difficile pour les résidents qui ne travaillent pas en Suisse d'accéder à un logement abordable. Cela se traduit par une accessibilité financière au logement inférieure à la moyenne dans le département de la Haute-Savoie (pour plus de détails, voir l'Immo-Monitoring France 2024).

Genève continue de s'étendre sur le territoire français


Selon les projections démographiques de Wüest Partner pour le canton de Genève, nous anticipons une croissance annuelle de la population d'environ 1% de 2024 à 2030. Il est attendu que les arrondissements voisins de Saint-Julien-en-Genevois et de Gex continuent à afficher des taux de croissance nettement supérieurs à cette estimation. En 2021, 61% des nouveaux logements construits dans la région étaient situés du côté français, d'après les données de DREAL Auvergne-Rhône-Alpes et OCSTAT - Statistique du parc immobilier. L'extension du Léman Express a par ailleurs élargi la zone de pendularité, intégrant davantage les arrondissements d'Annecy et de Thonon-les-Bains dans l'orbite de Genève. En conséquence, une part significative de l'expansion démographique de l'aire métropolitaine genevoise devrait se poursuivre en France, tandis que les emplois continueront principalement à se concentrer en territoire suisse.

Modèle de prévision de la population de Wüest Partner
Le modèle de prévision de la population de Wüest Partner permet de prédire l’évolution de la population résidante permanente au niveau communal, par âge, sexe et nationalité. Le modèle se fonde sur la méthode des composantes de cohorte en prenant comme point de départ le dernier bilan démographique disponible de l’Office fédéral de la statistique (OFS). Les évolutions futures sont calculées sur la base d’hypothèses concernant les taux de migration, de natalité, de mortalité et de naturalisation dans chaque cohorte. On utilise par exemple des taux de fécondité et de mortalité par âge pour prédire le nombre de naissances et décès dans la population. Les flux d’immigration et d’émigration sont estimés séparément, en tenant compte des probabilités de migration à long terme ainsi que de la baisse de la population active dans les pays voisins qui affaiblit le potentiel migratoire venant de ces pays. Le modèle est complété par d’autres données (attractivité des communes selon le niveau des loyers et le rating d’emplacement et de marché, capacité à accueillir de nouveaux habitants, zones de développement, activité de construction neuve, etc.) afin d’affiner les projections démographiques locales. Les deux principales forces de ce modèle sont d'une part la granularité fine des données, qui permet des prévisions au niveau communal. D’autre part, le modèle est régulièrement mis à jour afin d’intégrer les chiffres et les tendances les plus récents. Par exemple, nous avons récemment revu à la baisse les hypothèses de fécondité afin de tenir compte de la baisse de la natalité observée ces deux dernières années.

Les prévisions démographiques fournies par Wüest Partner sont détaillées, actuelles et adaptées spécifiquement à différents groupes d'âge. Ces données sont particulièrement utiles pour divers besoins de planification, notamment pour l'aménagement des infrastructures scolaires ou pour anticiper les besoins futurs en services de garde d'enfants, en soins aux personnes âgées, ou encore en matière de santé.

Cet article se base sur Schmid (2023) enrichi des dernières données disponibles.

Sources de données

OFS : Statistique des frontaliers (STAF), Statistique de l'emploi (STATEM), Statistique de la population et des ménages (STATPOP), Enquête suisse sur la structure des salaires (ESS), Recensement des logements vacants
INSEE : Recensement de la population, salaires
DREAL Auvergne-Rhône-Alpes/ OCSTAT - Statistique du parc immobilier
Seloger.com, Wüest Partner

Bibliographie

Schmid, Marco (2023). The housing market effects of public transport integration: Evidence from Geneva`s Léman Express. URPP Equality of Opportunity Discussion Paper Series 18, University of Zurich. https://doi.org/10.5167/uzh-252227

Contactez nos experts pour plus d'insights